Violences policières et noirs américains : quand la culture s’engage

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La violence policière infligée aux noirs américains n’est pas un phénomène récent, c’est d’ailleurs l’une des conséquences d’une tradition raciste et discriminatoire aux États-Unis. Les victimes d’aujourd’hui rappellent les lynchages d’hier. La population afro-américaine n’en finit plus de subir le système d’oppression raciste, qu’il soit policier, juridique ou social. En l’occurrence, des artistes ont choisi dans leurs morceaux ou dans leurs films de dénoncer la violence et les crimes policiers et le racisme qui peut y être lié.

En 1991, Rodney King, un homme afro-américain est passé à tabac par des policiers de Los Angeles, qui en plus d’user d’une violence terrible sont filmés par un vidéaste amateur. Ces images et l’horreur qu’elles représentent deviennent la représentation des violences policières subies par la population noire américaine et exacerbent les tensions raciales. Lorsque les quatre policiers à l’origine du passage à tabac sont finalement acquittés en 1992, des émeutes éclatent à Los Angeles et durent six jours consécutifs. Le film Écrire pour exister, de Richard LaGravenese, se déroule d’ailleurs juste après ces émeutes, au moment où les tensions raciales et les violences sont plus que jamais présentes aux États-Unis et dans les quartier les plus pauvres. Ajoutant leurs voix à celle des revendications populaires, des chanteurs s’insurgent contre la violence subie par Rodney King lors de son interpellation. Le groupe Rage against the machine compare même les policiers blancs américains aux membres du Ku Klux Klan (organisation raciste prônant la suprématie blanche) en chantant dans Killing in the name : « Certains de ceux qui composent les forces de l’ordre sont les mêmes qui brûlent des croix ». Dans le morceau, le groupe dénonce le fait que les policiers sont protégés de toute accusation grâce à leur insigne et au fait qu’ils sont blancs. Cette impunité qu’exprime le groupe de hip-hop NWA dans Fuck tha police lorsque qu’ils scandent « Donc les policiers croient qu’ils ont l’autorisation de tuer une minorité », ou encore le groupe français Assassin lorsqu’il attaque la violence d’État et de la police dans L’État assassine : « Pas un mot sur les crimes quand l’État assassine / On t’opprime, si ça ne va pas on te supprime / Voilà comment la police s’exprime ». Le groupe rend hommage à Rodney King en tant que victime de violences policières dans son refrain. Ben Harper, de son côté, fait un parallèle dans Like a King entre les injustices raciales contemporaines et les luttes et discours passés, et notamment celui de Martin Luther King, qui a appelé à la paix, à la réconciliation et à la disparition du racisme dans son célèbre discours « I Have a dream » (« J’ai fait un rêve »). Ben Harper chante en effet : « Voilà que le rêve de Martin / Est devenu le pire cauchemar de Rodney », ajoutant ensuite « Nos vies ne signifient rien ».

 

 

Le problème que représente les violences policières repose surtout sur le fait que les responsables des crimes sont justement ceux qui devraient en être les protecteurs. Gil Scott-Heron, après avoir égrainé une liste de victimes afro-américaines de la police dans son morceau No Knock, se pose la question « Qui va me protéger contre vous ? ». Le rappeur Tupac, lui, met en scène le harcèlement policier et le délit de faciès dans son morceau Trapped : « Je peux à peine marcher dans les rues de la ville / Sans qu’un flic me harcèle, me cherche / Puis me demande mon identité / Mains en l’air ils me lancent contre ce mur / Je n’ai rien fait du tout / (…) Les flics essaient de me tuer / Mais ils ne savent pas que ce n’était pas la bonne rue ». Pour reprendre le titre du morceau de Tupac, les afro-américains se sentent « piégés » dans leur propre pays, dans leurs propres rues, risquant à chaque minute passée hors de chez eux de subir un contrôle policier qui tourne mal, une attaque raciste, la mise en prison pour un crime qu’ils n’ont pas commis, ou à cause de délits que la pauvreté dans les ghettos les a entraîné à faire. C’est ce qu’a subit Oscar Grant, un afro-américain tué par la police à Oakland début 2009 dans une station de métro. L’homme est désarmé, assis à terre après avoir été interpellé, il se redresse et l’un des policiers lui tire dessus. Le film Fruitvale station, de Ryan Coogler, revient sur les quelques heures précédant cet incident meurtrier et permet de donner un visage, une humanité et une histoire à cette victime de crime policier. Et cette humanité passe aussi par les erreurs de parcours d’Oscar Grant – deal de drogue, prison,… -, qu’il essaie néanmoins de rattraper en construisant et en aimant sa famille et en cherchant à être le fils qu’il n’a pas forcément su être pour sa mère lors de ses années d’errance. C’est tout simplement un humain, un père, un mari et un fils que l’on voit avancer tout au long du film vers son destin tragique, vers cette présence « au mauvais endroit, au mauvais moment » en tant que jeune afro-américain.

 

 

Ces dernières années, les crimes policiers contre les noirs américains se sont autant intensifiés que les mouvements pour dénoncer le système raciste qui en est la cause, et avec eux autant de références qu’en font les artistes. Sur Instagram, Questlove, le leader du groupe The Roots, a appelé ses contemporains à faire entendre des messages de société, à être la voix de leur époque et à devenir les nouveaux Bob Dylan, Nina Simone ou encore Public Enemy. C’est dans cette optique que le rappeur Young Jeezy a rendu hommage dans It’s a cold world à Trayvon Martin, ce jeune noir de 17 ans tué en 2012 par son voisin, Georges Zimmerman, acquitté peu après. Le groupe de reggae Steel Pulse a lui aussi enregistré un morceau en hommage au jeune homme, Put Your Hoodies On [for Trayvon]. Lorsque Michael Brown, un jeune homme afro-américain est tué en 2014 par un policier à Ferguson, alors qu’il avait les mains en l’air selon des témoins, de violentes émeutes éclatent dans la ville et deux mouvements d’ampleur nationale voient le jour : Black Lives Matter (« Les vies noires comptent ») et Hands up, don’t shoot (« Mains levées, ne tirez pas »). Lauryn Hill appelle à la paix à Ferguson lorsqu’elle diffuse son titre Black Rage, où elle explique néanmoins que la colère de la communauté noire aux États-Unis est le résultat direct des injustices raciales commises au fil des ans.

Le 17 juillet 2014, Eric Garner, un homme noir américain est tué par étranglement par la police de New-York. Sur la vidéo amateur montrant la scène, on peut voir Eric Garner implorer « I can’t Breathe » (« Je ne peux pas respirer »), expression que les foules scanderont et écriront sur leurs panneaux lors des nombreuses manifestations qui éclatent dans l’ensemble des États-Unis. Fait troublant : les conditions de la mort d’Éric Garner rappellent une scène importante du film de Spike Lee « Do the right thing », un classique du cinéma afro-américain. Un montage combinant des images de l’agression d’Eric Garner et du film de Spike Lee a été mis en ligne quelques jours après les faits.

 

 

De son côté, le Wu-Tang Clan a sorti en 2014 un clip pour son morceau A better tomorrow (ci-dessus), comme un hommage aux mouvements populaires qui militent contre les violences policières à l’égard les noirs américains. On peut voir au fil de la vidéo la cérémonie funéraire de Michael Brown, des émeutes à Ferguson, le président Barack Obama qui fait une allocution à propos des relations entre les races aux États-Unis, des bouts de discours de Martin Luther King et Malcolm X, mais aussi des manifestations à travers le pays autour du mouvement Black Lives Matter. Et au sein de ces marches pacifiques des panneaux sur lesquels on peut lire les termes de « Justice », « Respect », « Jail killer cops » (demande pour que les policiers qui ont tué aillent en prison), « Black Lives Matter », « I can’t Breathe », « Hands up, don’t shoot » ou encore des milliers de manifestants les mains levées en hommage à Michael Brown. La vidéo se finit par la liste des victimes de crimes policiers de 2006 à 2014. D’autres parts, Usher, dans son clip Chains dénonce directement les assassinats de noirs américains par la police, Prince rend hommage dans le morceau Baltimore à Freddie Gray – tué par la police dans cette ville – et à Michael Brown et le groupe Blood Orange à Sandra Bland, jeune femme afro-américaine qui s’est suicidée dans sa cellule après une interpellation policière pour excès de vitesse, dans sont morceau Sandra’s smile. Kendrick Lamar a récemment dénoncé les violences et injustices raciales subies par la communauté afro-américaine dans le clip de son morceau Alright, dont la phrase centrale « We gone be alright » a été scandée lors d’une manifestation organisée par des étudiants de Cleveland en Juillet 2015.

La stigmatisation et le racisme sont les causes principales des crimes policiers mais aussi de l‘impunité policière et du manque de dignité accordées aux vies noires qu’elle représente. Syl Johnson se demande en 1969 dans sa chanson Is it because I’m Black ? (« Est-ce parce que je suis noir ? ») si la couleur de sa peau est la raison pour laquelle ses rêves ne se réalisent pas, qu’il vit dans le ghetto ou qu’il ne peut pas s’élever socialement. Cette fatalité qui semble s’imposer aux afro-américains et que Dead Prez dénonce lorsqu’il affirme dans son morceau We want Freedom : « Je suis né noir, je vis noir et je mourrais probablement parce que je suis noir… ».

 

Aude Béliveau

 

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