Retour du vinyle : L’objet au centre

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Retour du vinyle : L’objet au centre

Sortir le disque de sa pochette, le poser sur la platine et le faire tourner. Et ce moment où l’on pose délicatement la tête de lecture, le son pur du diamant qui frôle le vinyle et le grésillement qui précède les premières notes. Et enfin la puissance et la saveur du premier morceau. La face se termine, on se lève et on répète consciencieusement les mêmes gestes… Avoir alors l’impression de s’être approprié le disque, de l’avoir appréhendé physiquement. C’est ce plaisir contemplatif que cet ensemble d’actions représente qu’un nombre de plus en plus important de personnes veulent aujourd’hui retrouver en investissant dans les disques vinyles et leurs platines de lecture.

Si on avait imaginé dans les années 80, avec l’arrivée de la musique numérique sur CD, que les vinyles ringarderisaient aujourd’hui ces derniers… À l’époque, les auditeurs privilégient un son plus clair, plus précis, que le numérique permet. L’objet lui-même est plus petit, facilement transportable et échangeable. L’heure est à l’efficacité et à la consommation de masse. Le pressage des CDs est moins cher, ce format est donc tiré à un plus grand nombre d’exemplaires. L’explosion du format mp3 dans les années 2000 vient dématérialiser la musique. Le son est compressé, il s’écoute, s’échange et se diffuse notamment par le biais d’ordinateurs. C’est l’heure d’Internet, la musique est accessible partout, sur différents supports et s’emporte avec soi. On consomme en masse des morceaux et des styles différents, car les moyens techniques nous en donnent l’opportunité.

Mais depuis quelques années, un grand nombre de passionnés de musique revient au format vinyle. Ils s’écartent de la simple consommation culturelle et cherchent le plaisir de l’objet et de son contenu en lui-même. La fréquentation des disquaires augmente et avec elle le plaisir de fouiller, d’être surpris, nostalgique, d’être conseillé par un vendeur passionné,… La même sensation ressentie en allant « digger » chez les brocanteurs, pour y découvrir des disques rares ou tout simplement chargés d’histoire. L’objet-vinyle se transmet, se partage, du vendeur à l’acheteur et des passionnés entre eux.

Il s’agit ici d’héritages, par les disques d’occasion vendus, transmis de génération en génération et par toutes les cultures musicales auquelles ce format peut renvoyer. C’est un média durable, un outil de transmission et de diffusion. Rappelons-nous les voyages du père et du fils Lomax, qui ont enregistré sur vinyles des sons à travers les États-Unis, des chants d’ouvriers des états du Nord jusqu’aux mélodies scandées dans les plantations esclavagistes du Sud. Le disque a ici permis de capter un patrimoine jusqu’alors immatériel. Il a été à l’inverse un outil de diffusion dans les sound systems jamaïcains, au cours des DJ sets dans années 70 dans les ghettos américains, jusque dans les discothèques des années 90-2000. Le disque renvoie le son capté sur ses sillons directement aux auditeurs. C’est en tout cas la sensation que l’on peut ressentir lorsque la tête de lecture vient frotter sur le disque, et que l’on entend avant et pendant la musique les petits grésillements, ces marques sonores de l’objet lui-même.

VINYLES
© Lucien

Car il est bel et bien question d’un objet matériel et avec lui un moyen d’expression artistique. Pour beaucoup de passionnés, les pochettes ont autant d’importance que les sonorités qui peuvent sortir du vinyle. Elles deviennent un support de création et quelque fois de revendication. Par exemple, l’art conscient de Lemi Ghariokwu s’est fait connaître par les 26 pochettes d’album qu’il a composé pour Fela Kuti, la banane dessinée par Andy Warhol pour The Velvet Underground est devenue aussi mythique que le groupe lui-même, la vache de l’album Atom Heart Mother des Pink Floyd ou encore la photo des Beatles sur la pochette d’Abbey Road ont marqué toute une époque, sans parler de la subversion politique du dessin de l’album de Curtis Mayfield There’s No Place Like America Today. Les vinyles deviennent à la fois de véritables objets de décoration, un moyen d’afficher son appartenance musicale et pour certains disques cultes de se rappeler l’univers visuel d’une époque, d’un style et/ou d’une culture…

Une collection de vinyle est donc un ensemble d’objets musicaux et visuels chargés d’histoires – par  leur contenu ou les conditions de leur transmission -. Et c’est cette richesse matérielle et sensible qui semble être de plus en plus recherchée aujourd’hui avec le retour des disques vinyles sur nos étagères.

Aude Béliveau

 

Émissions de radios :

–    Radio vinyleMouv’
–    Dites 33FIP Radio

Livres :

–    Vinyles – L’art du disque, Grégory BRICOUT, Christophe GUEDIN, Richard GOUARD et Pierre LESCURE, éditions de La Martinière
–    Génération vinyles : pochettes et albums légendaires, Richard EVANS, Milan éditions
–    100 albums indispensables Soul, Funk et RnB, Olivier CACHIN, éditions Tournon