En Colombie, le Crew Black and White « break » les préjugés de la Comuna 13 de Medellin

crew black and white colombie breakdance

La Comuna 13 est une zone réputée difficile de Medellin, ancien fief de Pablo Escobar, en Colombie. Pourtant et malgré de nombreux préjugés qui perdurent, des jeunes artistes se battent au quotidien pour rompre cette image. C’est le cas de la douzaine de membres du Crew Black and White. Rencontre avec ces bboys qui, grâce au break, s’expriment et échangent de manière positive, utilisant la culture hip hop comme vecteur de paix. 

« Vous pouvez m’apprendre un truc ? Oui carrément ! »

Ils sont une dizaine ce soir de décembre, dans un parc de la Comuna 13. Ouverts, souriants et désireux d’échanger leur savoir-faire, ils se changent et pose la baffle sur le bitume encore chaud. Il est 19h30. Comme presque tous les soirs et dans l’absence regrettée d’autres lieux d’entraînements, ils squattent le pavé, au rythme de sons principalement old school.

crew black and white colombie breakdanceAndres a 26 ans, c’est le plus âgé du Crew Black and White. Il a ramené « son bébé », Beca, jeune pitbull dont les aboiements contrent les basses. « Tout le monde m’appelle MyDog, » partage-t-il. Pour celui qui ne s’est mis au break que « tardivement, » mais qui graff depuis son adolescence, « les gens interprètent mal les choses et ne se basent que sur ce qu’ils entendent. On est de la rue, mais on partage des messages constructifs. » Que ce soit sur les murs ou sur le sol.

« Le break, pour nous, c’est une véritable occupation, » continue-t-il. Sa pratique régulière lui a permis de laisser derrière lui « la calle » (la rue) et ses mauvaises influences. « C’est un bel art, on se décharge de notre haine, de notre tristesse. » Andres aime son quartier, celui qui l’a vu naître et grandir, celui dans lequel il a aussi perdu des proches, des amis, des voisins. Selon lui, il faut montrer l’autre visage de la Comuna 13.

Richar, 16 ans, acquiesce avant d’aller faire quelques figures sur le damier du parc « des échecs. » Une petite fille l’observe, curieuse. « Des fois, les gens veulent danser avec nous quand ils passent par ici. Alors on leur apprend des trucs, même aux enfants. » Alexander et Sneider, deux frères d’origines afro travaillent krump et poppin’. « Fais comme si tu faisais de la peinture. Voilà, comme ça. »

crew black and white colombie breakdanceLa Comuna 13 San Javier est l’une des 16 communes que compte la ville de Medellin. Elle se divise elle-même en une vingtaine de quartiers. C’est notamment là qu’a été réalisée en 2002 l’Opération militaire Orión, par les forces militaires et la police nationale de Colombie, afin d’ « en finir » avec les guérillas et milices urbaines qui, selon le gouvernement Alvaro Uribe, peuplaient la zone. Cette initiative fortement controversée, justifiée à l’époque par l’état d’urgence, a laissé de nombreux morts et disparus. Les victimes sont encore aujourd’hui et depuis le mois de juillet 2015, excavées de « la Escombrera, » décharge considérée comme la plus grande fosse commune jamais découverte en milieu urbain.

L’une des principales difficultés que rencontrent les membres de Black and White sont les préjugés. « Les gens définissent la Comuna 13 comme violente, ils disent que ça craint, mais la violence est partout dans le monde ! » dit fermement l’un des deux frères Gamboa. il est effectivement rare que les médias mentionnent les mouvements culturels riches et variés de la zone. « Ils disent : ‘Tu vas te faire tuer, on va te voler tes pompes’. Les gens ont peur et ne s’approchent pas d’ici. »

crew black and white colombie breakdanceLa discrimination locale touche également le mouvement hip hop. Les gens « pensent qu’on est des délinquants parce qu’on porte des vêtements larges, ils pensent qu’on passe notre temps à fumer des joints, parce qu’on traîne sur les marches avec une baffle. »

Sur ces idées reçues, le Crew Black and White, aux origines multicolores, continue, optimiste, «  à s’entraîner de plus belle et à ramener des gens, pour qu’ils s’expriment à travers la danse. »

Presque tous les soirs, en fonction des disponibilités de chacun, les jeunes de 12 à 26 ans se retrouvent, partagent de nouveaux pas, une bière Pilsen ou un soda Pastobon à la pomme, s’entraident, se corrigent. « C’est ça qui fait grandir le collectif et le mouvement. » Le groupe s’est formé suite à des cours de hip hop organisés dans la commune. Puis le prof n’est jamais revenu, ils n’ont pas su pourquoi. Du coup, ils se sont motivés ensemble pour continuer ce qu’ils considèrent comme bien plus qu’un simple passe-temps.

« Quand on fait des battles, c’est sain. Pas besoin d’arme pour ça. Le break nous éloigne de la violence, on montre qu’il y a de meilleures manières de vivre et de lutter ensemble. Puis, il faut savoir que beaucoup de jeunes ont été violents ou violentés et cherchent à sortir de cet engrenage grâce à l’art et à la culture. » Bref, un instrument de paix, une méthode d’expression… Un outil pour avancer. « Breaker » les préjugés.

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« L’idée, c’est de montrer l’exemple aux plus jeunes, » continue celui que ses compagnons surnomment « el Caballo », pour rire. Casquette et débardeur arborant de nombreux tatouages, c’est l’un des seuls du groupe qui a eu l’opportunité de danser hors de la commune. Il insiste sur la motivation profonde de « la famille Black and White. »

Le plus jeune du Crew a 12 ans. S’il aime tant le break, c’est parce que cela lui permet « de se décharger quand il a des problèmes à la maison, » partage-t-il timidement, avant de poser plusieurs questions sur la France. « Il fait froid là-bas ? Il y a du hip-hop ? » Il n’a jamais rencontré personne d’un autre pays.

crew black and white colombie breakdanceLa musique ne s’arrête pas plus que les pétards de noël qui résonnent tout le mois de décembre à Medellin, ou que les aboiements de Beca. Les étoiles brillent autant dans le ciel dégagé que dans les yeux des membres du groupe, entre deux figures.

L’autre frère Gamboa semble pensif. « C’est parce que je travaille demain, » blague celui dont le job actuel est la maintenance d’ascenseurs. « Nan, sérieusement, le break me permet de sortir de ma routine. Mon sentiment sur la danse ? C’est juste ouf! »

Un rêve ? Ils l’ont tous en commun, en fait : « avoir de nouveaux t-shirts pour identifier le Crew, » « vivre de leur art, » « continuer à avancer dans le break » … Mais aussi « une grande scène. » « Un public. »

23h00, c’est fini pour ce soir. Chacun rejoint son chez-soi. « Bienvenue dans la famille ! » crieront-ils avant de se disperser et avec, sûrement, le sentiment positif qu’on se soit intéressé à eux. Qu’on n’ait pas eu peur, qu’on ait « breaké » les préjugés…

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Clotilde Penet 

Photos : Clotilde Penet