En Colombie, le collectif Talla de Reyes graffe la biodiversité sur les murs de son quartier La Loma 

Dans un quartier réputé difficile des hauteurs de la ville de Medellin, en Colombie, un collectif de jeunes artistes sensibilise les habitants à la biodiversité, grâce au graffiti. Les murs, les bombes de peinture et le rap comme outils d’expression, Talla de Reyes lutte contre les préjugés dont le « secteur » souffre. 

14h, San Javier, Medellin.

En attendant Cristian Alvarez aka Bicho, 25 ans, graffeur du collectif Talla de Reyes, un homme fait de la musique avec une charrasca (instrument de musique de percussion). Un autre vend, à l’aide d’un micro, des livres de coloriage pour adultes et enfants, pendant qu’à trois mètres, c’est le prix des avocats que l’on « chante » avec des baffles. Du bruit, beaucoup de bruit. La vie de la ville.

14h30, on monte dans les hauteurs vertigineuses, vers La Loma, quartier de la Comuna 60, où sont nés et habitent les membres de Talla de Reyes. C’est aussi là ils s’activent pour sensibiliser la communauté, en utilisant les bombes, les murs, les mots et les micros. Tout en haut, sur les flancs de Medellin. Là où, selon le site du Ministère des affaires étrangères, « des actes de violence (…) se concentrent, » là où « s’affrontent des bandes rivales liées au trafic de drogue. » Des « secteurs bien définis (…) qui doivent être évités en toutes circonstances. »

Ah bon ?

Certes, on passe devant « la Escombrera, » plus grande fosse commune jamais découverte en milieu urbain, où sont déterrés depuis juillet les morts et disparus de l’opération militaire Orión (2002).

1. La Escombrera

Mais « La Loma n’est pas comme la peignent les gens de l’extérieur, La Loma est comme on la peint nous, de l’intérieur » commence David Bermudez aka Don D, 23 ans, MC du collectif.

C’est parti pour une visite guidée du barrio (quartier).

« Sur ce mur, on a graffé deux oiseaux du coin, pour que les gens se les approprient. On travaille beaucoup sur l’environnement. C’est une façon de sauver les espèces, que les gens les identifient, puis, en conséquence, en prennent soin. On peint beaucoup d’animaux, la biodiversité est très importante pour nous, » continue Cristian.

2. Cristian et David devant leur graff

La Loma, à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Medellin, était une zone très rurale, très verte il y a encore quelques années. Suite à une expansion démographique rapide, de nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes ont dû migrer afin de retrouver des espaces plus boisés. « On récupère la biodiversité en la graffant, » insiste David. « D’ailleurs, lorsqu’on a peint ces deux oiseaux, l’un d’eux, version réelle, s’est posé sur le mur pour nous observer. C’était marrant ! »

« Quand on graffe, les gens changent de comportement. Ici, ils ont commencé à prendre soin des herbes sauvages et à les couper régulièrement, pour que le mur reste propre et visible. A s’approprier notre œuvre, en quelque sorte, » ajoute Cristian.

Quelques mètres plus loin…

« C’est l’une des plus belles vues de tout Medellin, » partagent les deux amis. « Ici, on célèbre la vie. Toute la magie des groupes culturels et artistiques s’y opère. Là, à côté de la chapelle. »

3. Vue sur Medellin depuis La Loma 5. La Chapelle de La Loma 4. Vue sur Medellin depuis La Loma

6. Place centrale de La Loma

Talla de Reyes y a organisé concerts de rap et rencontres musicales diverses. « On cherche les lieux où y’a du passage, pour avoir plus d’impact. »

On arrive devant la bibliothèque de La Loma.

7. Devant la Bibliothèque

« Une des premières d’Antioquia (département dont Medellin est la capitale). » Elle a 58 ans. David et Cristian montrent et racontent le projet qu’ils ont nommé « Recuperando el Vuelo (Récupération en Vol). » A l’intérieur de l’espace éducatif prisé des habitants de la commune, Maité, salariée, les reconnaît : « C’est les mecs qui nous ont offert les cadres ! »

8. Cadres du projet Recuperando el Vuelo

« On a répertorié 20 espèces d’oiseaux, qu’on a reproduit en technique de graffiti. On les a offert à plusieurs lieux culturels et éducatifs, pour que les gens se réapproprient la vie qui les entoure. On a expliqué d’où venaient ces oiseaux et pourquoi ils étaient partis lors de discussions ouvertes. On espère que ça va avoir un impact ! » explique David, devant un oiseau rouge sang (le cacique candela), fièrement encadré, sur le mur de la bibliothèque. On les entendrait presque chanter… Ah non, ce sont les enfants qui participent aux nombreux ateliers organisés dans cet espace public.

9. David explique le projet Recuperando el Vuelo 10. Enfants dans la bibliothèque

« Il est arrivé que les gens nous demandent pourquoi, avec un art si urbain, on se concentre sur la nature. Mais nous on veut créer pour tous, adultes comme enfants, on ne fait pas du graff pour faire du graff ou du rap pour faire du rap… »

L’intention du collectif Talla de Reyes, en plus de sensibiliser sur la biodiversité, est aussi de rétablir la vérité sur les quartiers. Valoriser ce qu’ils sont réellement, au-delà des préjugés.

23. Vue de la Loma avec Graff

« Un jour, on cherchait des infos sur La Loma sur internet. Y’avait que des actualités négatives, genre un mort, des blessés, les paramilitaires, la guérilla… La seule info positive concernait cette bibliothèque. On s’est dit ‘merde, la Loma c’est pas ça.’ La Loma c’est la danse, le folklore, la musique, les traditions comme le lancer de lanternes ou le sancocho (plat typique sous forme de soupe.) On a commencé un autre projet participatif, qu’on a nommé ‘La Loma Es’ (La Loma C’est). Puis on l’a peinte, avec les habitants. »

Le collectif travaille également sur l’identité et la conscience de soi à travers le projet «Yo Soy » (Je Suis). « C’est important de se connaître, dès le plus jeune âge. Tu deviens beaucoup moins manipulable par un tiers. On a peint des modules qui reprenaient les idées des jeunes du quartier : ‘je suis mes défauts, je suis amour, je suis avenir, je suis religion…’ Ici à la La Loma les gens sont très croyants. »

11. Yo Soy Futuro

La balade continue. Quelques mètres plus bas.

« Les éléphants travaillent en communauté, ils ont une bonne mémoire et ne laissent personne derrière. Comme nous, malgré les difficultés. C’est ça La Loma ! On est ensemble, on travaille ensemble, on avance ensemble, on est une grande famille, » explique Cristian, pointant de sa main d’artiste un pachyderme entre deux tiendas (magasins).

12. L'Eléphant

« On a eu des petites embrouilles avec les baristas (gérants), on devait peindre d’autres éléphants, on n’a pas pu finir. Mais les habitants ont sauvé notre œuvre. »

« On graffe toujours avec l’idée d’aider les gens, un peu comme les abeilles, qui travaillent pour maintenir leur communauté, qui s’entraident. Toutes générations confondues. » Cette fois, ce sont les reines du pollen qui arborent le mur.

14. Abeilles 2 13. Abeilles

« Quand on a commencé, il y avait beaucoup de violences ici avec les groupes armés qui utilisaient les murs comme des codes. Le graff était donc associé à la violence. On a toujours voulu changer cette image négative. La police débarquait, pour nous empêcher de peindre. Mais petit à petit, les gens se sont appropriés l’espace. Ils ont commencé à nous connaître, nous reconnaître et même à venir nous chercher pour peindre ailleurs ! »

18. Graff San Cristobal 15. Vue La Loma avec graff

Talla (la taille pour quelque chose de grand et pour l’idée de tailler, forger) de Reyes (de haut niveau, royal) mêle rap et graffiti depuis bientôt cinq ans. Ils sont trois membres dans le groupe (David Bermudez aka Don D, Cristian Alvarez aka Bicho et Cristian Restrepo aka Skem) et tous leurs projets sont autogérés. Ils se soutiennent entre eux et grâce aux potes. « C’est la famille, » précise le dit Bicho en souriant. Le groupe travaille avec d’autres collectifs, notamment dans la musique.

17. David et Cristian 2 16 David et Cristian 1

David alias Don D s’enflamme quand il évoque le rap. « Les gens en Colombie ont la fâcheuse manie de plus valoriser ce qui vient de l’extérieur plutôt que ce qui vient de chez eux… Moi j’aime le rap en espagnol et je soutiens le rap de chez moi. Si personne ne le fait, y’aura jamais d’industrie fonctionnelle ! Quand je vois le rap en France ou aux Etats-Unis, j’hallucine : les mecs sortent titre sur titre ! Et après, c’est eux qui sont invités aux événements colombiens, alors qu’il y a pleins de talents dans le pays ! Dans les quartiers ! »

20 Batallon de MCs, Don D, Drex et Kme 19. Batallon de MCs, Don D et Kme

Avec Talla de Reyes, il fait aussi partie de Batallon de Mc’s, une « famille du hip hop formée en 2005 » qui intègre plus de dix groupes de rap au niveau national. Ensemble, ils sont « unis pour sensibiliser grâce au rap et lui donner plus de visibilité. »

Ensemble, ils ont des rêves.

VIDEO RAP SUENO :

 

« Merci de nous aider à montrer le vrai visage de notre pays, de notre ville. »

22. David et Cristian devant leur graff oiseaux

Sur ces mots termine une belle balade au cœur de La Loma. Un « secteur à éviter en toute circonstance » ? Définitivement, non. Plutôt un vecteur de paix à diffuser, de toute évidence…

21. Sticker Talla de Reyes sur Moto

Page Facebook de Talla de Reyes : https://www.facebook.com/TallaDeReyes?ref=hl&__mref=message_bubble

Clotilde Penet ( lien vers page FB : https://www.facebook.com/clotildepenet.journartiste/?fref=ts )

Site internet : www.clotildepenet.com

Photos : Clotilde Penet

Retrouvez le dernier article de Clotilde : En Colombie, le Crew Black and White « break » les préjugés de la Comuna 13 de Medellin